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DOMAINES

Jacques Dewitte s’est d’abord fait connaître, à partir de 1984, par de nombreux articles sur des sujets aussi divers que : le nihilisme, la question du mal, le vivant, l’architecture urbaine, le paysage, le langage, l’opéra, l’art, la littérature, mais aussi par des commentaires d’un grand nombre de penseurs contemporains. Ils ont paru dans des revues telles que Les Temps Modernes, Le Temps de la réflexion, Le Messager Européen, Critique, Commentaire, Esprit, La Revue du MAUSS, Philosophie,  Études phénoménologiques.

Cette diversité des intérêts tient notamment au modèle qu’a représenté longtemps pour lui le style de pensée de Maurice Merleau-Ponty, qui a donné l’exemple d’une disposition à s’ouvrir à d’autres champs d’expérience selon une sensibilité phénoménologique. Quelques domaines privilégiés se sont détachés : la ville, le vivant, le langage (avec à chaque fois un intérêt marqué pour la forme). Son travail de pensée, consistant également à découvrir et lire des auteurs importants, s’est à peu près toujours accompagné d’un travail de traduction ou d’édition. Le souci philologique va de pair chez lui avec la réflexion philosophique.

 

L’architecture urbaine

L’architecture urbaine, tout d’abord, sur laquelle il a beaucoup écrit en quelques années. Ce travail débuta par la traduction du livre de Karl Gruber, FORME ET CARACTÈRE DE LA VILLE ALLEMANDE, en 1986, à laquelle il a adjoint une préface qui fut le point de départ de sa réflexion phénoménologique sur l’espace urbain et la corporéité architecturale. Suivit rapidement son article du Temps de la réflexion sur « Camillo Sitte et l’idée de la place » et plusieurs autres textes. Ils ont formé peu à peu un ensemble qui devrait être publié prochainement dans un livre ayant pour titre LE BONHEUR URBAIN.

Le vivant

Le vivant, ensuite, avec une réflexion philosophique générale sur la spécificité du vivant comme « pour soi », sur laquelle s’est greffée sa découverte  de l’œuvre du grand zoologue suisse Adolf Portmann, ainsi que sa redécouverte de la question téléologique (inspirée par Spaemann). Il a écrit, vers 1990, un long commentaire de l’œuvre de Portmann qui est resté au stade de manuscrit, et dont ont paru seulement des extraits. Il a entrepris de faire connaître Portmann en lui consacrant plusieurs articles, mais aussi, en 2013, en publiant une traduction remaniée de son ouvrage majeur, LA FORME ANIMALE.

Un moment important de cette réflexion sur l’animalité fut un numéro des Etudes Phénoménologiques intitulé « Phénoménologie et Philosophie de la nature », qui contenait un dossier consacré à une redécouverte de la question téléologique, composé de quatre traductions d’auteurs allemands (Spaemann, Jonas, von Uexküll, Portmann), qu’il avait constitué.  Sur un registre littéraire, il a réuni avec Pierre Dubrunquez, pour la revue Poésie 2000, le dossier « Poétique de l’animal », contenant notamment son article « La rencontre première ».

 

Le langage

Le langage, enfin, est un thème majeur de sa réflexion. Ce fut d’abord une démarche de critique du langage inspirée par l’exemple de George Steiner (dans « Langage et silence »), avec deux articles parus dans Les temps Modernes, puis avec le livre LE POUVOIR DE LA LANGUE ET LA LIBERTÉ DE L’ESPRIT, consacré principalement à quatre auteurs : George Orwell, Dolf Sternberger, Victor Klemperer et Aleksander Wat, qu’il appelle ses « penseurs-témoins », en ce sens qu’il furent à la fois des observateurs directs d’une langue totalitaire et des penseurs qui en ont élaboré une analyse. Le point décisif est la constatation que l’on n’est pas « indemne » de la langue que l’on parle. Il y écrivait : « L’emprise que les langues totalitaires ont exercée sur l’esprit et la sensibilité des hommes constitue l’une des expériences les plus terrifiantes du XX siècle. Une langue impose toujours une certaine vision du monde que chacun intériorise à son insu en la parlant. Comment rompre ce charme mortifère ? ».

Dans ce livre, il jetait déjà les bases d’une conception fondamentale du langage centrée sur le thème de la liberté inhérente à la parole, à l’encontre de la conception structuraliste longtemps dominante, mais centrée aussi sur l’importance de la langue instituée qui, loin de l’étouffer, porte et supporte cette parole.

Il a trouvé une source d’inspiration permanente dans l’œuvre immense de Wilhelm von Humboldt, qui sous-tend l’ensemble de son travail sur le langage. De Humboldt, il a fait connaître, en l’exhumant des bibliothèques, un texte écrit en français en 1812 qui avait échappé à l’attention : « Essai sur les langues du nouveau continent » qu’il a publié et édité en 2018 sous le titre LE PRODIGE DE L’ORIGINE DES LANGUES.

 

Petits essais

Il a également une veine littéraire qui s’est manifestée par l’écriture de PETITS ESSAIS sur des sujets occasionnels, car inspirés à chaque fois par une certaine rencontre : avec un lieu, avec une œuvre d’art, avec un texte. Certains de ces essais, dont l’ensemble n’a jamais été réuni et publié, ont paru séparément sous forme d’articles, et certains sont devenus l’un ou l’autre chapitre de ses livres. Les essais sur des opéras, dont il compte faire un livre (au titre provisoire Paroles en souffrance) relèvent aussi de cette catégorie. De même que son article, écrit en allemand, sur l’art de la sculpture de Rob Krier.

 

Kolakowski et l’Europe

Bien qu’il n’ait pas à proprement parler de pensée politique, il y a un ensemble de ses travaux - articles, livre, traductions - ayant une portée politique, qui sont inspirés principalement par les écrits et la personne du philosophe polonais Leszek Kolakowski. Ce fut d’abord la traduction de plusieurs livres, L’ESPRIT RÉVOLUTIONNAIRE en 1977 et LE VILLAGE INTROUVABLE en 1986. Plus tard, en 2011, il a écrit sur Kolakowski une monographie ayant pour sous-titre LE CLIVAGE DE L’HUMANITÉ.

C’est aussi une conférence de Kolakowski, entendue à Paris en 1980, « Où sont les Barbares ? » qui a inspiré au départ son livre L’EXCEPTION EUROPÉENNE, qui lui est dédié : une défense et illustration de la civilisation européenne, et une tentative pour montrer aux Européens tourmentés par la culpabilité et le déni de soi que sont justifiés une estime de soi, un sentiment positif, une fierté.

 

Un art de la lecture

Dans ses nombreux articles, Jacques Dewitte a publié un grand nombre de commentaires d’auteurs contemporains.  Il y a développé un style d’écriture reconnaissable, que certains ont caractérisé comme un art de la lecture : une dévotion aux textes, un effort pour les serrer au plus près, de manière respectueuse, tout en dégageant un sens global qui peut ne pas être immédiatement donné. Ces lectures ont porté sur de nombreux philosophes : Sartre, Merleau-Ponty, Ricoeur,  Lévinas,  Jonas (premier article sur lui en français, paru en 1988), mais aussi sur des écrivains : Baudelaire, Milosz, Camus, Herling, Coetzee, Kundera (inédit), Queneau (inédit).

Lorsqu’il s’agissait de penseurs qui lui ont semblé appeler à la fois un éloge et une prise de distance, ces lectures ont pris la forme d’une exégèse critique. On y trouve à chaque fois une démarche qui se décompose en trois temps : une restitution fidèle et explicite de la cohérence interne de ces penseurs ; une mise en évidence de leurs contradictions, de leurs impasses et, souvent, de leur pente nihiliste ; une tentative de dépassement afin de sortir de ces impasses et d’échapper à cette dérive. C’est ainsi que sont construites les études sur Jean-Paul Sartre (Philosophie) sur Emmanuel Lévinas (avec un livre en préparation : Un philosophe et deux pensées : Lévinas I et Lévinas II ), sur Alain Roger et Clément Rosset (Critique), sur Philippe Muray, sur Georges Bataille (revue du MAUSS). Il a eu la satisfaction de constater que certains des penseurs concernés (Roger, Rosset), se sont reconnus dans son exégèse critique et lui ont manifesté leur reconnaissance.

Il lui a été souvent reproché, par quelques voix amicales, que cette démarche - se mettre au service des œuvres, se vouer à des auteurs - se faisait au détriment de sa propre pensée, et qu’il devrait enfin « se mettre à son compte » (propos tenu un jour par Jean-Claude Guillebaud). Et on peut souvent se demander quel est le commun dénominateur entre des intérêts aussi divers. C’est pourquoi il s’emploie depuis plusieurs années à écrire des livres qui présentent de manière plus directe sa propre pensée et l’interrogation commune qui sous-tend ses différents commentaires.

 

Anti-utilitarisme

Jusqu’à l’heure actuelle, LA MANIFESTATION DE SOI, parue en 2010, est son livre majeur. L’ouvrage est, pour une large part, un recueil augmenté d’articles parus dans la Revue du MAUSS sur quelques auteurs provenant des sciences humaines (Mauss, Huizinga), des sciences de la nature (Portmann) ou de la littérature (Melville). Mais ce commentaire d’auteurs est sous-tendu par sa conception anthropologique et métaphysique fondamentale qui peut se résumer dans la formule qui lui est chère : « il ne fallait pas ». C’est aussi à travers ce noyau philosophique que peut s’éclairer son intérêt simultané et conjoint pour l’architecture, le langage et la forme animale.

Cette conviction prolonge la critique « anti-utilitariste » développée par le groupe du MAUSS, mais en lui donnant une portée philosophique et métaphysique, inspirée notamment par la pensée de Robert Spaemann et son idée de « l’inversion de la téléologie ».

Toutes les « raisons » qui sont censées expliquer les phénomènes naturels comme les comportements humains s’avèrent insuffisantes. « Un examen sans préjugés montre que le principe d’utilité n’a qu’une validité limitée. Pour des fins purement utilitaires, des moyens réduits auraient largement suffi. Il est donc nécessaire, par fidélité au réel, d’élaborer un horizon élargi où ces laissés-pour-compte éclatants puissent devenir intelligibles (…). N’y a-t-il pas, non seulement chez l’homme, mais dans la vie animale et végétale, une tendance à manifester ce que l’on est, à paraître au lieu de simplement être ? ».

 

Projets actuels

Sa réflexion de longue haleine sur le langage devrait déboucher sur la publication d’un grand livre auquel il travaille depuis longtemps, intitulé EN MATIÈRE DE LANGAGE, qui ambitionne de proposer une refondation de la pensée du langage. C’est aussi une tentative pour intégrer, à l’intérieur d’un essai à caractère philosophique, les apports d’un grand nombre de travaux linguistiques tout en effectuant aussi une critique de théories réductrices, dans le prolongement de la critique du structuralisme inaugurée par Paul Ricoeur.

Ce livre sera construit sur trois « piliers », à savoir ces trois modalités du phénomène langagier que sont respectivement le langage (comme faculté humaine), les langues (dans leur diversité) et la parole (comme énonciation, dire, visée d’un sens). La thèse fondamentale, qui prolonge la conception exposée dans la Manifestation de Soi, étant que chacune de ces modalités est inexplicable selon les termes de la rationalité utilitaire, est qu’il s’agit à chaque fois d’un « phénomène originaire » non dérivable de causes extérieures et préalables, qui, autrement dit, comporte une contingence, un « il ne fallait pas ».

Parallèlement à ce grand livre, il poursuit l’élaboration de ce qu’il appelle provisoirement son OPUS MAGNUM : un ouvrage de métaphysique et d’ontologie fondamentale sur un certain nombre de thèmes qui sont apparus progressivement dans ses écrits antérieurs. Il apparaît après coup que les nombreux articles qu’il a publiés, où prédominent les commentaires d’auteurs, ont été également un atelier où il a mis en évidence, dans quelques développements, des notions fondamentales qui se sont imposées à lui et qui seront au centre de ce « grand œuvre » (ainsi, les concepts de « vocation transcendantale » et de « portée ontologique » dans l’article de Critique sur Alain Roger).

 

Voici, dans le désordre, les thèmes retenus jusqu’ici, avec un titre qui reprend à chaque fois l’une de ses formules favorites : IL NE FALLAIT PAS, Traité sur la contingence ; DE RIEN ET DE NULLE PART, Traité sur l’origine ; LE CHAMP PRÉALABLE, Traité sur le transcendantal ; COMME QUOI, Traité sur l’onto-épistémologie ; ET RIEN D’AUTRE, Traité sur la réduction et le réductionnisme ; LE VISAGE DES CHOSES, Traité sur l’eidétique ; LA BIGARRURE DE L’ÊTRE, Traité sur les distinctions et les modes d’être ; OUVRIR L’ŒIL, Traité sur l’initiation et l’aveuglement ; LA JUSTE PLACE, Traité sur l’architectonique ; A PARTIR DE SOI, Traité sur la positivité première ; TOUJOURS DÉJÀ, Traité sur la circularité ; EN VUE DE QUOI, Traité sur la téléologie, SAGES TAUTOLOGIES, Traité sur l’identité. SI J’OSE DIRE, Traité sur le jugement. LA CONDITION DÉSIRANTE, Traité sur l’Éros, UNE FORCE EFFECTIVE, Traité sur le Mal ; LA BONTÉ FONCIÈRE, Traité sur la Création ; LE BEAU ME SUFFIT, Traité pour une poétique ; COMME UN AUTRE, Traité sur l’exemplarité.

La question étant de savoir si le projet de ce « grand œuvre » sera réalisé sous la forme d’une suite de « traités » consacrés chacun à un thème précis, comme ce qui est en train de se constituer actuellement, ou bien sous la forme d’un grand livre d’ontologie fondamentale qui les regrouperait et leur apporterait une structuration mutuelle.

Jacques Dewitte envisage également, encouragé par son lecteur et ami Max-Erwan Gastineau, d’écrire un livre ayant à la fois un caractère autobiographique  et le caractère d’un manifeste exprimant sa sensibilité conservatrice, avec pour titre provisoire LA TEXTURE DES CHOSES.

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