Jacques Dewitte
PHILOSOPHE, ÉCRIVAIN, TRADUCTEUR
L’AMOUR DES FORMES
Répliques
Sur Sebastian Haffner, Histoire d'un Allemand (2004)
Avec Alain Finkielkraut, Alain Besançon et Jacques Dewitte
Alain Finkielkraut : «Je vais conter l'histoire d'un duel. C'est un duel entre deux adversaires très inégaux : un Etat, extrêmement puissant, fort, impitoyable et un petit individu, anonyme et inconnu. Ils ne s'affrontent pas sur ce terrain qu'on considère communément comme le terrain politique. L'individu n'est en aucune façon un politicien, encore moins un conjuré, un ennemi de l'Etat. Il reste tout le temps sur la défensive. Il ne veut qu'une chose : préserver ce qu'il considère, à tort ou à raison, comme sa propre personnalité, sa vie privée, son honneur. Tout cela, l'État dans lequel il vit et auquel il a affaire l'attaque sans arrêt avec des moyens certes rudimentaires mais parfaitement brutaux. L'Etat, c'est le Reich allemand. L'individu, c'est moi. »
Ainsi commence Histoire d'un Allemand de Sebastian Haffner. Écrit en exil, à Londres, à la fin des années 30, ce récit personnel de l'irrésistible ascension des nazis n'a pas été publié du vivant de son auteur. On l'a retrouvé caché, au fond de son bureau, après sa mort en 1999. Nous voici donc en possession, plus de soixante ans après sa rédaction, non seulement d'un témoignage capital mais d'une oeuvre en tout point admirable. Cette admiration, nous la mettrons en mots avec Alain Besançon et Jacques Dewitte.
(…)
Jacques Dewitte : (…) En ce qui concerne les circonstances du livre : Haffner, de son vrai nom Raimund Pretzel, a interrompu la rédaction de son récit autobiographique dès que la guerre a éclaté, pour passer à un livre à caractère plus politique destiné à faire comprendre aux Anglais la situation intérieure de l’Allemagne. Il a paru en 1940 et c’est à cette occasion qu’il a choisi le pseudonyme de Sebastian Haffner, par référence à Bach et à Mozart, mais aussi pour faire comprendre que ce livre n’était pas écrit par un Juif. (…) L'histoire du manuscrit est elle-même pleine de rebondissements. Car après sa découverte en 1999, conduisant l’année suivante à cette publication qui fut une révélation, Oliver Pretzel, le fils de Haffner, poursuivant ses investigations dans les papiers de son père, met encore la main sur six nouveaux chapitres tout à fait saisissants, décrivant l’expérience de la « camaraderie » des référendaires, qu’il publie aussitôt dans la seconde édition allemande de 2002 (…).
AF : Nous ne manquons pas de témoignages ni de travaux historiques sur le nazisme et la montée des périls. Que nous apprend, de plus, ce livre sur cette période extrêmement documentée?
JD : A mes yeux, ce livre apporte quelque chose d’essentiel : il restitue au passé sa qualité de présent, c’est-à-dire, pour ceux qui le vivent, un temps ouvert sur un avenir imprévisible. Par-là, il « défatalise » l’histoire, pour reprendre le mot de Raymond Aron. En racontant ses souvenirs d’une époque toute récente et cependant déjà révolue, Haffner rouvre l'espace des possibles. Ainsi montre-t-il qu'il y avait, dans les années vingt, d'autres voies qui n'ont pas été empruntées, notamment parce que Rathenau fut assassiné et que la promesse qu’il représentait fut anéantie. Et lorsqu’il raconte les semaines qui ont suivi l’élection de Hitler en janvier 1933, il se demande avec insistance pourquoi les Allemands n'ont pas réagi, parlant de « trahison », de « capitulation », de « pusillanimité ». Il y a eu un moment de flottement, d’indécision du déroulement politique et historique, avant que le pouvoir ne se soit consolidé et ne soit devenu, dès avril 1933, une véritable fatalité.
Alain Besançon : Tout événement historique se prête à ces deux lectures contraires : soit on considère que les choses devaient se passer comme elles se sont passées, soit on les interprète comme une suite d'accidents, de hasards. Vous évoquez l'assassinat de Rathenau, je ne crois que ce soit décisif. En revanche, la mort de Stresemann constitue une véritable catastrophe. Stresemann liquidait, de façon décente, en accord avec les Anglais, le traité de Versailles de façon pacifique.
AF : Pour prolonger la référence de Jacques Dewitte à Raymond Aron, je citerai Thomas Nipperdey (…) qui, dans un chapitre de Réflexions sur l'histoire allemand, chapitre intitulé « 1933, la continuité de l'histoire allemande », écrit : « Le passé est davantage qu'une préhistoire (...) Nous devons restituer aux générations disparues ce qu'elles ont autrefois possédé, comme le possède tout présent, la richesse d'un avenir ouvert, l'incertitude, la liberté, la finitude, la contradiction. C'est ainsi que la science historique rend à la société un service irremplaçable face à toutes les prétentions à l'absolu, qu'elles soient de nature technique ou idéologique. Elle maintient l'avenir ouvert. Elle vient renforcer la conscience de notre finitude, de notre liberté. »
(…)
Vous avez relevé, Alain Besançon, qu'il y avait, chez Haffner, quelque chose d'aristocratique. Rien ne l'illustre mieux que l'interprétation qu'il propose de la façon dont les Allemands ont succombé au nazisme. La peur, assurément, a joué mais pas seulement. Il écrit : « La croix gammée n'a pas été imprimée dans la masse allemande comme dans une matière récalcitrante, mais ferme et compacte. Elle l'a été comme dans une substance amorphe, élastique et pâteuse. » il s'interroge alors sur ce qui manquait aux Allemands et il répond, ce qu'il leur manquait? C'était la race, qu'il définit comme « un noyau dur que les pressions et les tiraillements extérieurs ne parviennent pas à ébranler, une forme de noble fermeté, une réserve de fierté, de force d'âme, d'assurance, de dignité cachée au plus intime de l'être et que l'on ne peut précisément mobiliser qu'à l'heure de l'épreuve. Cela les Allemands ne le possèdent pas. (…). Il est paradoxal de recourir à la notion de race au moment où le racisme, et Haffner le sait, explose en Allemagne. Il l'entend en son sens antérieur à cette fureur biologisante. Il l'emploie , non pas au sens descriptif, pour désigner l'ensemble des ascendants et des descendants d'un même peuple mais en son sens normatif, d'exigence faite aux descendants d'être à la hauteur de leurs ascendants. (….)
Le terme de race est, aujourd'hui, discrédité, il ne s'agit pas de revenir sur ce discrédit, mais j'ai pris la mesure de la grande bêtise à l'œuvre dans l'alignement de toutes les significations du mot « race », sur sa signification apocalyptique. (…)
La démocratie n' a donc rien à gagner de se couper de ces acceptions-là. Il est des moments dans l'histoire où il faut pouvoir puiser dans un tel fonds. Notre époque est-elle encore capable de lire ces pages d'Haffner en leur donnant toute leur portée, car, que nous dit Haffner, sinon que, au cœur du racisme, ce dont les Allemands ont manqué, c'est de race?
AB : C’est une accusation de type nietzschéen.
JD : Plutôt que de me prononcer sur ce paradoxe, je reviendrai au thème du duel entre un État tout-puissant et un petit individu. Il faut signaler que, dans le passage du début du livre cité par Alain Finkielkraut, le terme allemand qui a été traduit par « individu » est « Privatmann », littéralement « homme privé », ce qui indique bien qu’il s’agit du choc entre une vie publique occupée par le pouvoir nazi et une vie privée que l’on voudrait préserver. (…) Individualiste, Haffner entend demeurer à l'écart, ne pas se laisser contaminer par cette peste qui se propage. Il s’agit de « préserver la sainteté, la pureté de son moi », écrit-il en citant Stendhal et on pourrait dire aussi : préserver l'intégrité de son âme. Mais il comprend rapidement que cet idéal est impossible à tenir, que la ligne de démarcation entre vie privée et vie publique se brouille. Quand bien même on voudrait maintenir les fenêtres bien closes, le mal pénètre, il entre chez vous et en vous. Moi qui cherche à préserver mon intégrité, je suis contraint de participer : des gestes publics me sont imposés, comme le salut nazi dans la rue lorsque passe un cortège. Impossible de m’y soustraire si je ne veux pas être tabassé par les SA. Qu'en est-il alors du statut de ce moi public que je voudrais tenir séparé de mon moi privé? Cette séparation s’avère illusoire. De ce duel, on peut se demander d’ailleurs qui sort vainqueur. En tout cas, de son propre aveu, Haffner a été défait très tôt, tout au début, avant même que le duel véritable ne commence, le jour où, dans la bibliothèque de droit où il travaillait, interpelé par un SA qui lui demandait s’il était aryen, il n’a pas pu s’empêcher de répondre : « oui ». Il a été aussitôt pris de honte, mais il était déjà trop tard.
AB : Nous retrouvons ce thème dans la littérature russe de l'époque de Lénine, de Staline et de Brejnev. Comment préserver l'intégrité de l'âme, lorsque le monde devient une école d'infamie, d'ignominie? Cette question est présente chez Soljenytsine, chez Zinoviev, fort pessimiste, convaincu que la tâche est impossible à réaliser. Thème magnifié par Orwell dans 1984.
Haffner évoque un « gaz de peur » qui se répand et pénètre partout. Moi qui ai vécu en Union soviétique, j'ai pu constater, en effet, comme ce « gaz de peur » s'infiltrait et agissait. Les doubles fenêtres de l'ambassade de France étaient gardées par un bataillon de gendarmes français : même s'ils le niaient, les diplomates français avaient peur. Je suis retourné, récemment, en Russie, la « gaz de peur » ne se répand plus. Et c'est capital.
AF : On pense également à Victor Klemperer dont les journaux Mes Soldats de papier , et plus particulièrement celui qui couvre les années 1933-1941, témoignent de ce phénomène de diffusion d'un gaz de peur qui, insidieusement, pénètre toutes les sphères de l'existence. On voit également les contraintes exercées sur l'individu qui cherche à protéger son travail. Il lui faut passer une série de compromis et la prétention à un exil intérieur semble, en effet, vaine.
JD : Cela apparaît plus clairement encore à propos du langage. Dans LTI, le livre issu de son journal et consacré à la propagation de la langue du Troisième Reich, Klemperer montre comment nul n'échappe à l'usage de cette langue formatée qui vous impose une certaine tournure d’esprit. Il constate qu’au bout de compte, tout le monde a fini par la parler, y compris les juifs de son entourage, et y compris lui-même, comme il se surprend plusieurs fois à le faire. C’est une convergence frappante entre l’expérience de Klemperer et celle de Haffner : dans une telle situation, personne n’était indemne.
(…)
AF : Pourquoi Hitler a-t-il été possible en Allemagne? Haffner se pose la question. Et selon lui, les racines du nazisme ne se trouvent pas dans l'expérience des tranchées, contrairement à ce que l'on a pu dire, mais dans la guerre telle que l'ont vécue les écoliers allemands, pour lesquels c'était un sport, un jeu et, rejoignant des analyses telles que celles de Karl Jaspers ,« le courage civique est une vertu rare en Allemagne comme le remarque Bismarck », ce qui s'explique par l'absence d'expérience réelle de la liberté politique pour les Allemands, (…)
AB : La clef de la compréhension se trouve encore, comme dans une grande partie de l'Europe, dans la guerre de 1914 qui a été vécue de façon singulière en Allemagne. Deux pouvoirs se faisaient face : d'une part, le pouvoir civil avec un ordre bureaucratique, le Reichstag, le chancelier, de l'autre, une immense armée qui n'obéissait qu'à ses chefs. Or, dans cette armée de masse, s'est instaurée une démocratie sauvage : le nombre des cadres anciens de l'Allemagne, des officiers aristocratiques s'est révélé insuffisant pour tenir cette armée composée de dix millions d'hommes, soumise à des pertes et à des pressions épouvantable, on a donc fait sortir des rangs de l'Allemagne des personnages qui n'avaient pour eux que le courage, l'aptitude au combat, la brutalité, quelque fois la cruauté.
(…)
AF : Que nous apprend, selon vous, Jacques Dewitte, ce livre sur les origines du nazisme en Allemagne?
JD: Je suis embarrassé. Je ne sais que dire sur ce point. Je ne suis pas historien et, en tant que philosophe, ou bien par un trait de caractère personnel, je suis enclin à prendre mes distances envers les explications historiques qui, si convaincantes soient-elles, manquent le fait tout aussi indéniable de la contingence historique. « Pourquoi le nazisme est-il apparu en Allemagne ? » demeure une grande question. Haffner nous laisse entendre qu’il n’aurait pas forcément dû avoir lieu, que d’autres directions auraient pu être prises. Est-ce que ce point de vue subjectif d’un témoin doit être considéré comme une illusion, ou n’est-ce pas plutôt le point de vue objectif des historiens qui doit être considéré comme une illusion rétrospective ? Je n’ai pas de réponse satisfaisante. Mais peut-être suis-je aussi naïf en n’apercevant pas certaines déterminations sociales et historiques.
(…)
AB : Pour répondre à votre question, Alain Finkielkraut, prenons deux cas, celui la France et celui de l'Allemagne. L'Ancien régime en France était en décomposition et les classes, appelées à prendre la relève de la monarchie administrative et militaire française, étaient prêtes et elles savaient ce qu'elles voulaient à savoir, ce que l'Angleterre avait obtenu au XVIIIE siècle. Les classes populaires ont été mobilisées comme bélier contre l'ancien régime, mais sans débordement. A partir de Thermidor (…) les classes moyennes ont ainsi repris la conduite de la révolution française et l'ont menée à son terme. N'oublions jamais que le passage d'un ancien régime à un nouveau régime constitue un drame et demande du temps : en France, il a fallu un siècle, en Allemagne, également.
Reste une question : Pourquoi, en Allemagne, la révolution fut conduite non pas par les classes moyennes, mais par les voyous? L'ancien régime allemand, le compromis bismarckien fonctionnait parfaitement. Le dynamisme de l'Allemagne était, en 1913, sans égal en Europe. (…) Ce feuilleté social maintenait le régime des états. Après la guerre de 1914, la social-démocratie, qui était la force politique la plus propre à faire triompher la démocratie, à cause de la menace communiste, n'a pas pris de risque et a conservé le système des états. Dès lors, d'où pouvait venir la révolution démocratique et le passage de l'ancien au nouveau régime?
De ces hommes nouveaux, frustrés nationalement par l'humiliation que leur avait infligé le traité de Versailles, frustrés économiquement par la grande crise, haïssant les couches supérieures de la société allemande et conduits par des aventuriers comme Göring, par des pervers comme Goebbels, par des brutes épaisses comme Röhm et par ce personnage démonique et démoniaque, Hitler.
AF : Autrement dit, vous nous expliquez, Alain Besançon, que la révolution démocratique fut accomplie, en Allemagne, par ces nazis crapuleux...
(…)
Vous écrivez, en effet, en conclusion de votre article, Alain Besançon : « Si parfaite, si solide, si morale était la hiérarchie sociale allemande, si épaisse était la porte qui barrait la révolution démocratique que, pour l'ouvrir, il fallut cette crapuleuse effraction. Alors pourquoi la plus ouvertement cruelle et barbare des révolutions européennes s'est-elle produite en Allemagne, la plus savante, la plus policée, la plus disciplinée des nations d'Europe? Parce qu'elle était tout cela. »
JD : L'interprétation d'Alain Besançon ne me convainc pas. D'abord, parce qu'il y a ce constat d'une nécessité qui serait à l'œuvre : « il fallut cette crapuleuse effraction ». Votre raisonnement repose sur l'idée de Tocqueville du caractère irrésistible du mouvement démocratique. Ayant lu Haffner, je persiste dans l'idée qu'il y avait d'autres possibles dans l'histoire, avec tout ce que cela a d’impalpable et de fragile à côté des lois d’airain. Il écrit : « Il est difficile de parler de choses qui ne sont pas réalisées, de prémices restées au stade du ‘peut-être’ et du ‘presque’. Et pourtant, j'ai l'impression que l'Allemagne d'alors a vu germer, à côté de démons oppressants et de maléfices extra-humains, des plantes rares et précieuses.».
AB : Je ne vois pas de contradiction. (…)
Le passage de l'ancien ou nouveau régime n'a pris de tournure dramatique que dans les pays où l'ancien régime était, profondément, enraciné : la France, l'Espagne et l'Allemagne. Bien évidemment, que le cours de l'histoire aurait pu être différent. Mais lorsque que la social-démocratie, en Allemagne, s'est heurtée à des résistances pour installer la démocratie, la démocratie est venue - je ne dis pas devait venir - , des couches sociales prêtes à aller jusqu'au bout et, en l'occurrence, il s'est agi des voyous nazis.
AF : S'il faut préserver la contingence, ne pas se laisser entraîner par la question du « pourquoi? », peut-on néanmoins suspendre toute démarche explicative?
JD : C'est un problème central pour toute réflexion sur l'histoire, pour laquelle je n’ai pas de réponse satisfaisante. Je citerai, une fois encore, Raymond Aron et son Introduction à la philosophie de l’Histoire : « Toutes les vastes reconstitutions partagent avec les prophéties rétrospectives le privilège de l'infaillibilité. (...) L’enquête causale de l’historien a moins pour sens de dessiner les grands traits de relief historique que de conserver ou de restituer au passé l’incertitude de l’avenir. (…) Ainsi l’historien parvient-il à distinguer la fatalité de ce qui, ayant été, ne peut plus ne pas avoir été, de la nécessité massive qui écraserait l'individu et impliquerait un avenir prédéterminé. » Il me semble que le livre de Haffner est l’illustration même de ce propos d’Aron : son récit relate avec tristesse et amertume, à peine cinq années plus tard, « la fatalité de ce qui, ayant été, ne peut plus ne pas avoir été », tout en récusant l’idée d’une « nécessité massive » qui « impliquerait un avenir prédéterminé ».
AF : Mais, revenons à l'Histoire d'un Allemand. Quelle lumière, ce livre jette-t-il sur l'effet de contagion dans le corps social allemand?
JD : Dans les derniers chapitres, décrivant son expérience de jeune « référendaire » obligé de séjourner pendant quelques semaines avec ses collègues juristes dans un camp de formation, Haffner montre, de manière saisissante, comment se forme, dans ce petit groupe, un nouveau type de lien social, caractérisé par la « camaraderie », qui est une communion dans la bassesse, dans l'ignominie. C’est une clé possible de compréhension. En lisant ces pages, j’ai songé à un passage de L'anatomie d'un spectre où Alain Besançon décrit parfaitement, pour la société soviétique, cette camaraderie qui se noue autour de la vodka.
AF : Sur ce thème de la camaraderie dans la bassesse, dans la bassesse ultime, je renverrai à l'ouvrage de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, sur le 101è bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne. Pourquoi ces individus, qui n'étaient pas des nazis, ont-ils été jusqu'à tuer alors que leur commandant leur donnait la possibilité de ne pas participer à la solution finale? Par esprit de corps.
AB : Haffner se heurte à des mystères ; Il est des choses qu'il ne comprend pas et, je suis d'accord avec Jacques Dewitte sur ce point, il ne faut pas chercher à tout expliquer. Il voit, par exemple, une revue fort élégante, distinguée, (…), devenir progressivement, avec les mêmes couvertures, les mêmes collaborateurs, eux-mêmes des hommes fort élégants, extrêmement cultivés, une revue nazie. Nous entrons dans ce mystère d'iniquité des horreurs du XXème siècle.
AF : C'est rendre justice au livre et à notre conversation que de terminer sur le mot de mystère.